Une édition riche en controverses, suite à l’indulgence des juges vis à vis du programme court de Patrick Chan, alors que le patineur canadien avait chuté à trois reprises… L’analyse des protocoles met encore en lumière la marge "d’interprétation" du CoP, à travers les GOE et les composantes. La polémique ne doit cependant pas faire oublier d’autres actualités plus encourageantes, entre des promesses à confirmer et l’émotion d’un retour en grâce.
Chan envers et contre tous, mais à quel prix ?
Favori logique de la compétition, Patrick Chan a remporté pour la seconde fois le Skate Canada, malgré un court catastrophique sur le plan technique : chute sur le quadruple, sur le triple Axel, et sur une séquence de pas, la combinaison triple flip-triple boucle piquée ne suffisant pas à effacer l’impression d’ensemble. Cependant, des composantes artificiellement gonflées et des GOE discutables le maintiennent en quatrième position, très proche du podium.
Le programme libre lui permet de faire la différence : si la prestation est bien plus convaincante puisqu’il propose l’ensemble des triples, avec en plus une réussite sur le quadruple saut (une première pour lui en compétition) et sur le second triple Axel (alors qu’il avait chuté lors de sa première tentative), on peut dresser le même constat qu’après le programme court à la lecture des protocoles. Le bilan est donc plutôt amer même s’il faut encore souligner les qualités du patinage de Chan : gestuelle, glisse, vitesse de patinage. Et le fait de hausser son contenu technique est tout à fait à son honneur.
Simplement, une telle manifestation de jugement "à domicile" ne fait pas honneur au Skate Canada… et malheureusement, l’arrogance, sincère ou non, de Patrick Chan, ne peut qu’envenimer une situation. Il devra évoluer à l’avenir sous peine de connaitre des désillusions.
Nobunari Oda ne prend ainsi que la seconde place, en ayant laissant des impressions contrastées. Combatif et remarquable d’aisance dans l’exécution des sauts, il vire logiquement en tête après le programme court. Il retombe cependant dans ses travers lors du programme libre, avec un discours musical qu’il ne parvient pas à ressentir, et une certaine lassitude dans son patinage, que ne peuvent compenser les réussites techniques. S’il passe le quadruple d’entrée, il chute sur son second triple Axel, ce qui lui coûte la victoire.
Adam Rippon confirme une entame de saison prometteuse au Japan Open : son programme court est un sans-faute… un libre plus fébrile, marqué par un retournement sur le second triple Axel, l’empêche de prétendre à mieux qu’une troisième place. On peut cependant regretter des choix chorégraphiques d’un grand classicisme, patinés de manière uniforme alors qu’il a l’aisance nécessaire pour proposer bien plus (une glisse limpide et presque "aérienne"). Attention aussi, à travers son double ’Tano Lutz’ (triple saut réalisé avec un bras levé, signature du patineur américain Brian Boitano, qu’il réalise lui avec les deux bras levés), à ne pas tomber dans des "tics" de gestuelle, sans aucune plus-value esthétique.
Kevin Reynolds prend la quatrième place, en ayant écrit l’histoire puisqu’il est le premier à réaliser deux quadruples (Salchow et boucle piqué) dans son programme court (il profite d’un changement de règles qui autorise désormais les patineurs à réaliser un quadruple comme saut individuel du court). Sa régularité sur les quadruples, grâce à une impressionnante vitesse de rotation, reste pour l’instant son principal atout. Pour le reste, ses chorégraphies et sa posture sont celles d’un patineur junior. Il devra absolument progresser sur ce point, même si ce sont ses problèmes avec l’Axel (technique non maîtrisée) qui l’empêchent ici de s’installer sur le podium.
Le bilan est aussi encourageant pour Javier Fernandez, qui prend la cinquième place. Après un court mitigé où il ne réussit qu’une combinaison triple-double, il se relance sur le libre avec un quadruple boucle piqué, suivi du triple Axel. Certes, le second triple Axel ne passe qu’en simple, mais l’impression reste très positive. Il progresse de manière régulière, et devrait bientôt pouvoir viser des podiums internationaux.
Alban Préaubert est sixième, juste derrière Fernandez. Il monte en puissance par rapport aux Masters et à la Coupe de Nice, ce qui lui permet d’être optimiste pour les prochaines semaines. L’absence de quadruple et de combinaison triple-triple sur le libre le freine cependant sur le plan technique.
Artur Gachinski, vainqueur de la Coupe de Nice, attendait sans doute mieux qu’une septième place pour son premier Grand Prix. Mais diminué par une infection, il n’a pu donner le meilleur de lui-même, un quadruple saut retourné sans combinaison mettant fin à des espoirs de podium dès le programme court. Son libre est plus consistant techniquement, mais son manque de condition physique accentue ses défauts : trop de temps d’arrêt dans sa présentation, et une gestuelle souvent gratuite et sans personnalité.
Jeremy Ten, huitième, fait mieux qu’au NHK, notamment grâce à un programme libre où hormis un second triple Axel manqué, il s’est montré plus régulier. Yasuharu Nanri prend la neuvième place en ayant montré une relative constance technique, mais ses lacunes en composantes ne lui permettent guère d’espérer davantage internationalement. Grant Hochstein, en échouant sur le triple Axel à la fois lors du court et du libre, est relégué en dixième position.
Kristoffer Berntsson et Paolo Bacchini terminent en onzième et douzième position, après avoir été en grande difficulté sur les sauts.
La renaissance de Czisny
Alissa Czisny prend une belle revanche sur elle-même avec cette victoire, cinq ans après son seul et unique succès en Grand Prix, déjà au Skate Canada. En embuscade après le programme court, après avoir passé sa combinaison triple flip-double boucle piquée, rattrapant en partie un retournement sur le triple Lutz, elle a confirmé sur le libre avec un contenu technique remarquable. A part une chute sur son dernier saut (triple boucle piqué), son programme est maîtrisé, proposant deux triples Flip et un triple Lutz, avec un choix musical qui souligne la fluidité et la délicatesse de son patinage. Dix mois après sa désillusion du championnat américain (10e), elle relance à nouveau sa carrière, faite de hauts et de bas. En espérant que cela soit enfin sa saison.
Ksenia Makarova, deuxième, peut également être satisfaite. Pour son premier Grand Prix senior, elle accroche un podium, avec deux prestations convaincantes : elle passe sa combinaison triple boucle piqué-triple boucle piqué lors de ses deux programmes, et réussit le triple flip sur le libre. Et avec le triple Lutz, elle aura montré qu’elle travaillait l’ensemble des triples, avec certaines garanties. Elle aura une carte à jouer cette saison, notamment à l’échelle européenne où la concurrence reste incertaine.
La troisième place est canadienne, obtenue par la surprenante Amélie Lacoste, qui atteint un classement à la hauteur de ses ambitions. Elle a beaucoup tenté sur le plan technique : combinaison triple-triple sur le court, flip et Lutz sur le libre. Si elle n’a pas pu tout réussir, elle a montré de la constance, ainsi que de la combativité et un enthousiasme qu’elle devra reproduire, pour espérer participer aux grands rendez-vous internationaux.
Cynthia Phaneuf a déçu, en terminant seulement quatrième après avoir dominé le programme court, notamment grâce à un remarquable triple Lutz en combinaison. Apparue confiante et déterminée, elle n’a pu confirmer lors du libre, ne résistant pas à la pression. Elle livre une prestation décevante, à oublier très vite. Inconstante tout au long de sa carrière, ce Grand Prix est un avertissement.
La lutte pour les places d’honneur a été très disputée : Haruka Imai prend la cinquième place grâce à sa technique, proposant le flip, le Lutz, ainsi qu’une combinaison double axel-triple boucle piquée. Elle manque encore de maturité, à travers une expression encore trop brouillonne, mais elle pourrait, en confirmant cette progression, se faire une place au sein d’une équipe japonaise très compétitive.
Agnes Zawadzki est sixième : là-encore, ce sont des débuts en senior très satisfaisants. Troisième après le court, grâce à une combinaison triple-triple, elle fut plus fragile lors du libre. Et comme Imai, elle n’a pas trouvé encore trouvé une cohérence de style. Mais elle doit aussi prendre son temps.
Myriane Samson prend la septième place, confirmant la bonne performance d’ensemble de l’équipe canadienne, même si elle fut moins régulière sur les sauts.
L’écart avec la huitième place est important, avec à la suite quelques déceptions : Valentina Marchei était loin de sa meilleure forme. Si elle réussit deux triples Lutz dans le programme libre, ses prestations sont très inégales, avec une qualité de patinage décevante par rapport à ce qu’elle peut proposer.
Fumie Suguri termine elle aussi très loin. En échec sur les sauts, sans enthousiasme dans l’expression, elle ne semble pas pouvoir espérer grand chose de cette saison. Certainement une saison de trop.
Sonia Lafuente, a montré des qualités intéressantes pour son premier Grand Prix senior. Trébuchant en prenant l’élan de la combinaison sur son court, elle a pu réagir malgré avoir été sonnée. Et sur le libre, elle parvient à passer le triple Flip. Dans l’ensemble, le contenu technique est encore trop léger, mais elle doit continuer à progresser.
Enfin, Alexe Gilles n’avait pas non plus la condition physique suffisante pour pouvoir convaincre. Elle prend logiquement la dernière place.
Iliushechkina/Maisuradze, première !
Lubov Iliushechkina et Nodari Maisuradze l’emportent grâce à un programme court sans faute, ce qui leur permet de compenser les quelques approximations du programme libre. L’impression d’ensemble reste très positive : Lubov est bien plus régulière sur les sauts individuels, et le couple dévoile un bel unison, ainsi que des qualités de glisse indéniables. Leurs scores sont proches de ceux obtenus par Bazarova/Larionov au NHK, et comme ces derniers, ils peuvent viser une place en finale du Grand Prix. Si les leaders russes de la catégorie couples sont absents de la saison de Grand Prix, la relève est en tout cas bien présente.
Le podium est complété par deux équipes canadiennes : Kirsten Moore-Towers et Dylan Moscovitch échouent tout près de la victoire, avec un programme libre très chargé techniquement, malgré une chute sur le triple Salchow individuel. Ils montrent qu’ils faudra compter sur eux cette saison, confirmant l’impression positive déjà laissée l’an dernier au Skate Canada. _ Paige Lawrence et Rudi Swiegers, autre couple d’avenir, prennent de justesse la troisième place, avec une régularité intéressante sur les sauts lancés. Ils devancent Marissa Castelli et Simon Shnapir, qui n’ont pu confirmer sur le libre leur deuxième place du programme court.
Meagan Duhamel et Eric Radford, cinquièmes, échouent également près du podium. Leur potentiel technique est évident, et ils recherchent déjà la difficulté en tentant le triple Flip comme saut individuel. Ils doivent désormais prendre leurs repères et renforcer leur complémentarité, à la fois de glisse et de style. Ils seront certainement bien plus à leur aise dans quelques mois.
Britney Simpson et Nathan Miller prennent la septième place, laissant une impression mitigée pour un premier Grand Prix senior.
Huibo Dong et Yiming Wu, huitièmes, n’ont pas convaincu, tout comme Stacey Kemp et David King, neuvièmes : la lenteur d’exécution n’est pas compensée par un travail chorégraphique insuffisant.
Crone/Poirier à domicile
Vanessa Crone et Paul Poirier obtiennent leur premier succès en Grand Prix, et dévoilent dès maintenant leurs ambitions élevées pour cette saison. Leurs deux programmes sont riches d’intentions chorégraphiques, et expriment déjà une personnalité plus affirmée.
Ils devancent Sinead et John Kerr, qui tenaient la première place après la danse courte. Cependant, les Britanniques étaient encore un peu justes sur le plan physique : des approximations, et un porté avorté les empêchent de goûter enfin à la victoire en Grand Prix.
Madison Chock et Greg Zuerlein prennent la troisième place, et montent pour la première fois sur le podium en Grand Prix. Plus sûrs que l’an passé, ils auront l’ambition de progresser dans la hiérarchie américaine. Après la seconde place des Shibutani au NHK, cela permet de souligner la qualité de la relève derrière Davis/White.
Relève également bien présente côté canadien, puisque Alexandra Paul et Mitchell Islam terminent en quatrième position, alors qu’ils entament leur première saison senior. Précis techniquement, leur libre cite cependant Virtue/Moir de manière trop insistante. Ils devront peu à peu apporter leur propre touche.
Pernelle Carron et Lloyd Jones, cinquièmes, peuvent avoir des sentiments contrastés. Ils sont en nets progrès par rapport à la saison précédente, mais ils perdent encore des places sur la danse libre, puisqu’ils étaient sur le podium provisoire après la première épreuve. Les perspectives d’amélioration sont encore très importantes.
Kristina Gorshkova et Vitali Butikov prennent une sixième place assez terne, qui ne leur laisse que peu d’espoir de briller au sein de l’équipe russe.
Les Canadiens Sarah Arnold et Justin Trojek, septièmes, terminent bien plus loin, tout comme les allemands Stefanie Frohberg et Tim Giesen, huitièmes, et les américains Rachel Tibbets et Colin Brubaker, neuvièmes.